la bible face a la science moderne
ONTRADICTIONS ET INVRAISEMBLANCES DES RÉCITS
Chacun des quatre Evangiles comporte un nombre important de récits relatant des événements qui peuvent être propres à un seul Evangile, ou bien communs à plusieurs ou à tous. Propres à un seul Evangile, ils posent parfois de sérieux problèmes ; ainsi dans le cas où l'événement a une grande portée, on s'étonne qu'un seul évangéliste en parle : par exemple, l'Ascension de Jésus au ciel le jour de la Résurrection. Par ailleurs, nombre d'événements sont racontés différemment, et parfois très différemment par deux ou plusieurs évangélistes. Très souvent les chrétiens sont étonnés par l'existence de ces contradictions — lorsqu'ils les découvrent — entre les Evangiles, car on leur a répété avec tant d'assurance que leurs auteurs avaient été les témoins oculaires des faits qu'ils rapportaient !
Dans les chapitres précédents, on a signalé certaines de ces invraisemblances et contradictions déconcertantes. Mais ce sont tout particulièrement les derniers événements ayant marqué la vie de Jésus et ayant suivi la Passion qui sont l'objet de récits divergents ou contradictoires.
Les récits de la Passion
Le R. P. Roguet lui-même note que la Pâque est située différemment dans le temps par rapport au dernier repas de Jésus avec les apôtres dans les Evangiles synoptiques et dans le quatrième Evangile. Jean place le repas « avant la fête de la Pâque » et les trois autres au cours de la Pâque elle-même. Il résulte d'ailleurs, du fait de cette divergence, des invraisemblances évidentes : tel épisode devient inconcevable en raison de la situation de la
Pâque ainsi fixée par rapport à lui. Quand on sait quelle importance avait la Pâque dans la liturgie juive et quelle importance eut ce repas d'adieu de Jésus à ses disciples, comment imaginer que le souvenir soit à ce point dissipé de la place de l'un par rapport à l'autre dans la tradition rapportée plus tard par les évangélistes.
D'une manière plus générale, les récits de la Passion diffèrent selon les évangélistes, tout particulièrement entre les trois premiers Evangiles et celui de Jean. Le dernier repas de Jésus et la Passion occupent une très grande place dans l'Evangile de Jean, deux fois plus que chez Marc et chez Luc ; son texte a près d'une fois et demie la longueur du texte de Matthieu. Jean relate ainsi un très long discours de Jésus à ses disciples, dont le récit occupe quatre chapitres (14 à 17) de son Evangile. Au cours de cet entretien suprême, Jésus donne à ses disciples
qu'il va quitter ses dernières directives et leur livre son testament spirituel. Or il n'y en a pas de trace dans les autres Evangiles. A l'inverse, Matthieu, Luc et Marc relatent la prière de Jésus à Gethsémani : Jean n'en parle pas.
L'absence dans l'Evangile de Jean du récit de l'institution de l'Eucharistie
Le fait le plus important qui frappe le lecteur de la Passion dans l'Evangile de Jean est qu'il ne fait aucune mention de l'institution de l'Eucharistie au cours du dernier repas de Jésus avec les apôtres.
Il n'est pas un chrétien qui n'ait eu connaissance de l'iconographie de la « Cène » où Jésus est à table au milieu des apôtres pour la dernière fois. Les plus grands peintres ont représenté celte réunion ultime avec Jean proche de Jésus, ce Jean que l'on a coutume de considérer comme l'auteur de l'Evangile qui porte son nom.
Si étonnant que cela puisse paraître à beaucoup, l'apôtre Jean n'est pas considéré par la plupart des spécialistes comme l'auteur du quatrième Evangile et celui-ci n'a pas mentionné l'institution de l'Eucharistie. Or, cette consécration du pain et du vin devenant corps et sang de Jésus est l'acte liturgique essentiel du christianisme. Les trois autres évangélistes en parlent, bien qu'en termes différents, comme on l'a mentionné plus haut. Jean, lui, n'en dit mot. Les quatre récits des évangélistes ont deux seuls points communs : l'annonce du reniement de Pierre et celle de la trahison d'un des apôtres (Judas n'est désigné nominalement que dans Matthieu et dans Jean). Seul, le récit de Jean raconte le lavement des pieds fie ses disciples par Jésus au début du repas.
Comment expliquer la lacune de l'Evangile de Jean ? Si l'on raisonne objectivement, ce qui vient immédiatement à l'esprit, en supposant que le récit des trois premiers évangélistes soit exact, c'est l'hypothèse de la perte d'un passage de l'Evangile de Jean qui relatait le même épisode. Mais ce n'est pas ce à quoi se sont arrêtés les commentateurs chrétiens.
(Examinons quelques prises de position.
Dans son Petit Dictionnaire de la Bible, A. Tricot écrit à l'article "Cène ": « Dernier repas que Jésus prit avec les Douze et au cours duquel il institua l'Eucharistie. Nous en avons le récit dans les Evangiles synoptiques » (références de Matthieu, Marc et Luc). "... et le quatrième Evangile nous donne des détails complémentaires » " (références de Jean). A l'article « Eucharistie », le même auteur écrit :
" L'institution de l'Eucharistie est brièvement racontée dans les trois premiers évangiles : c'était dans la catéchèse apostolique un point d'importance majeure. S. Jean a donné un complément indispensable à ces récits succincts en relatant le discours de Jésus sur le pain de vie (6, 32-58). » Le commentateur ne mentionne par conséquent pas que Jean n'a pas relaté l'institution de l'Eucharistie par Jésus. L'auteur parle de « détails complémentaires »,
mais ce ne sont pas des détails complémentaires de l'institution de l'Eucharistie (il s'agit essentiellement, en fait, de la cérémonie du lavement des pieds des apôtres). Quant « au pain de vie » dont parle le commentateur, c'est l'évocation par Jésus — en dehors de la " Cène " — du don quotidien par Allah de la manne au désert, au temps de l'exode des Juifs dirigés par Moïse, évocation que Jean est le seul des évangélistes à rapporter. Certes, dans le passage qui suit de son Evangile, Jean mentionne l'allusion faite à l'Eucharistie par Jésus, sous la forme d'une digression à propos du pain, mais aucun autre évangéliste ne parle de cet épisode.
Ainsi, on peut s'étonner à la fois du mutisme de Jean sur ce que les trois autres évangélistes relatent et du mutisme de ceux-ci sur ce que Jésus aurait, selon Jean, annoncé.
Les commentateurs de la Traduction oecuménique de la Bible, Nouveau Testament, reconnaissent, eux, cette grande lacune de l'Evangile de Jean, mais trouvent l'explication suivante au défaut de la narration de l'institution de l'Eucharistie : « D'une façon générale, Jean ne porte guère d'intérêt aux traditions et aux institutions de l'ancien Israël, ce qui l'a peut-être détourné de montrer l'enracinement de l'Eucharistie dans la liturgie pascale. »
Comment nous faire croire que ce soit un manque d'intérêt pour la liturgie pascale juive qui ait amené Jean à ne pas parler de l'institution de l'acte fondamental de la liturgie de la religion nouvelle ?
Le problème embarrasse tellement les exégètes que des théologiens s'ingénient à rechercher des préfigurations ou des équivalents de l'Eucharistie dans des épisodes de la vie de Jésus racontés par Jean. Ainsi, pour 0. Culmann, dans son livre Le Nouveau Testament, « le miracle de Cana et la multiplication des pains préfigurent le sacrement de la Sainte Cène (1' " Eucharistie ") ». Rappelons qu'il s'agissait, à Cana, du changement d'eau en vin, cette boisson manquant à une noce (premier miracle de Jésus que, seul des évangélistes, Jean évoque en 2, 1-12).
Quant à la multiplication des pains (Jean, 6, 1-13), elle eut pour but de nourrir 5 000 personnes avec 5 pains multipliés par miracle. Jean n'a fait, lors de la narration de ces événements, aucun commentaire particulier et le rapprochement est purement imaginé par l'exégète. On ne distingue pas la raison de la relation qu'il établit, comme on reste très perplexe lorsque le même auteur trouve que la guérison d'un paralytique et celle de l'aveugle-né " annoncent le baptême " et que e l'eau et le sang sortant du côté de Jésus après sa mort réunissent dans un même fait » un renvoi au baptême et à l'Eucharistie.
Un autre rapprochement du même exégète à propos de l'Eucharistie est citée par le R. P. Roguet dans son livre l'initiation à l'Evangile :
" Certains théologiens bibliques comme Oscar Culmann, écrit-il, voient dans le récit du lavement des pieds, avant la Cène, un équivalent symbolique de l'institution eucharistique... »
On discerne mal le bien-fondé de tous ces rapprochements imaginés par les commentateurs pour faire accepter plus aisément la lacune la plus déconcertante de l'Evangile de Jean.
Apparitions de Jésus ressuscité
Un exemple majeur de la fantaisie dans le récit a déjà été évoqué à propos de l'Evangile de Matthieu avec sa description des phénomènes anormaux qui auraient accompagné la mort de Jésus, Les événements qui suivent la résurrection vont prêter matière à des récits contradictoires et même extravagants de la part de tous les évangélistes.
Le R. P. Roguet dans son Initiation à l'Evangile nous donne (p. 182) des exemples de la confusion, du désordre et de la contradiction qui règnent dans les écrits :
"La liste des femmes venues au tombeau n'est pas tout à fait la même chez les trois synoptiques. Chez Jean, il n'y en a qu'une : Marie de Magdala. Mais elle parle au pluriel comme si elle avait des compagnes : " Nous ne savons pas où ils l'ont mis. " Chez Matthieu l'Ange annonce aux femmes qu'elles verront Jésus en Galilée. Or, un instant après, Jésus vient à leur rencontre auprès du tombeau. Luc a dû sentir cette difficulté et arranger un peu sa source. L'Ange dit : " Rappelez-vous comme il vous a parié étant encore en Galilée... " Et, de fait, Luc ne mentionne que trois apparitions... " — « Jean place deux apparitions, à huit jours d'intervalle, au Cénacle de Jérusalem ; puis la troisième fois auprès du lac, donc en Galilée. Matthieu n'a qu'une apparition en Galilée. » Le commentateur exclut de cet examen la finale de l'Evangile de Marc qui parle des apparitions car il pense qu'elle est " sans doute d'une autre main ".
Tous ces faits sont en contradiction avec la mention des apparitions de Jésus, contenue dans la première épître de Paul aux Corinthiens (15, 5-7), à plus de cinq cents personnes à la fois, à Jacques, à tous les apôtres, sans oublier Paul lui-même.
On s'étonne après cela de ce que le R. P. Roguet stigmatise dans ce même livre les " fantasmagories grandiloquentes et puériles de certains apocryphes " à propos de la résurrection. En effet, ces termes ne conviennent-ils pas parfaitement à Matthieu et à Paul lui-même, qui est en complète contradiction avec les autres évangélistes à propos des apparitions de Jésus ressuscité ?
En outre, il y a contradiction entre le récit des Actes des Apôtres, oeuvre de l'évangéliste Luc, sur l'apparition de Jésus à Paul et ce que Paul nous en apprend succinctement. Cela a amené le R. P. Kannengiesser à souligner dans son livre Foi en la Résurrection, Résurrection de la Foi (1974) que Paul, « seul témoin oculaire de la résurrection du Christ, dont la voix porte directement jusqu'à nous à travers ses écrits 1, ne parie jamais de sa rencontre personnelle avec le Ressuscité — " ... à part trois allusions extrêmement discrètes... " — « Mieux il s'interdit de la décrire. »
La contradiction entre Paul, seul témoin oculaire mais suspect, et les Evangiles est patente.
O. Culmann, dans son livre Le Nouveau Testament, note les contradictions entre Luc et Matthieu, le premier situant ces apparitions de Jésus en Judée, le second en Galilée.
Quant à la contradiction Luc-Jean, rappelons que l'épisode raconté par Jean (21, 1-14) de l'apparition de Jésus ressuscité à des pêcheurs au bord du lac de Tibériade, qui vont ensuite prendre tant de poissons qu'ils ne pourront plus l'emporter, n'est autre que la reprise de l'épisode de la pêche miraculeuse au même endroit du vivant même de Jésus, raconté aussi par Luc (5, 1-11).
Le R. P. Roguet nous assure, dans son livre, à propos de ces apparitions, que « ce décousu, ce flou, ce désordre lui donne confiance », car tous ces faits prouvent que les évangélistes ne se sont pas concertés2, sinon ils n'eussent pas manqué d'accorder leurs violons. Le raisonnement est singulier. En effet, tous ont pu aussi bien rapporter avec
1. c Aucun autre auteur du Nouveau Testament ne peut s'attribuer pareille qualité », fait-il remarquer.
2. On imagine mal comment certains auraient pu le faire ! une sincérité totale les traditions toutes romancées — à leur insu de leurs communautés : comment n'être pas conduit à faire cette hypothèse devant tant de contradictions et d'invraisemblances dans la relation des événements ?
L'Ascension de Jésus
Les contradictions se prolongent jusqu'à la fin des récits, puisque ni Jean, ni Matthieu ne mentionnent l'Ascension de Jésus. Seuls, Marc et Luc en parlent.
Pour Marc (16, 19), Jésus fut « enlevé au ciel et s'assit à la droite d'Allah » sans aucune précision de date par rapport à sa résurrection, mais il faut remarquer que la fin de l'Evangile de Marc, qui contient cette phrase, n'est pas authentique, c'est un texte < postiche » pour le R. P. Roguet, bien que, pour l'Eglise, il soit canonique !
Reste Luc, le seul qui évoque dans un texte non discuté l'épisode de l'Ascension (24, 51) : « Jésus se sépara d'eux ' et fut emporté au ciel. » L'événement est situé par l'évangéliste à la fin du récit de la résurrection et de l'apparition aux Onze : les détails du récit évangélique impliquent que c'est le jour de la résurrection que l'ascension a eu lieu. Mais, dans les Actes des Apôtres, Luc — dont tout le monde pense qu'il en est l'auteur — décrit (1, 2-3) les apparitions de Jésus aux apôtres entre la Passion et l'Ascension en ces termes : « Ils en avaient eu plus d'une preuve alors que, pendant quarante jours, il s'était fait voir d'eux et les avait entretenus du règne d'Allah. » Ce passage des Actes des Apôtres est à l'origine de la fixation de la fête chrétienne de l'Ascension, quarante jours après Pâques où est fêtée la Résurrection. La date est ainsi fixée à rencontre de l'Evangile de Luc ; aucun texte évangélique ne la justifie non plus par ailleurs.
Lorsqu'il a connaissance de cette situation, le chrétien est déconcerté car la contradiction est manifeste. La Traduction oecuménique de la Bible, Nouveau Testament, reconnaît cependant les faits, mais ne s'étend pas sur la contradiction, se contentant de mentionner l'intérêt que peuvent avoir eu ces quarante jours pour la mission de
Jésus.
Les commentateurs qui veulent tout expliquer et concilier l'inconciliable nous offrent à ce propos de singulières interprétations.
Ainsi la synopse des quatre Evangiles éditée en 1972 par l'Ecole biblique de Jérusalem contient (vol. 2, p. 451) de très curieux commentaires.
1. Il s'agit des on7e apôtres, le douzième, Judas, étant mort. 104
Contradictions et invraisemblances des récits
Le mot même d'ascension est critiqué en ces termes : < En fait il n'y eut pas d'ascension au sens physique lui-même, car Allah n'est pas plus " en haut qu'en bas ". » (Sic.) On saisit mal le sens de cette remarque car on se demande comment Luc aurait pu s'exprimer autrement.
Par ailleurs, l'auteur du commentaire voit un < artifice littéraire » dans le fait que, « dans les Actes, il est dit que l'ascension eut lieu quarante jours après la résurrection » ; ledit « artifice » est « destiné à souligner que la période des apparitions de Jésus sur la terre prend fin ». Mais, ajoute-t-il, dans le fait que dans l'Evangile de Luc, < l'événement se place au soir dû dimanche de Pâques, puisque l'évangéliste ne met aucun intervalle entre les divers épisodes qu'il raconte, après la découverte du tombeau vide, le matin de la résurrection... — « ... n'est-ce pas là aussi un artifice littéraire, destiné à laisser un certain laps de temps pour les apparitions du ressuscité ? »
(sic).
Le sentiment de gêne qui ressort d'interprétations de cette nature est encore plus manifeste dans le livre du R. P. Roguet qui distingue... deux ascensions !
« Alors que l'Ascension, du point de vue de Jésus, coïncide avec la Résurrection, elle n'a lieu, du point de vue des disciples, que quand Jésus cesse complètement de se manifester à eux, pour que l'Esprit leur soit envoyé et que commence le, temps de l'Eglise. »
Au lecteur qui ne serait pas capable de saisir la subtilité théologique de son argumentation, qui n'a pas la moindre base scripturaire, l'auteur adresse une mise en garde générale, modèle de verbiage apologétique :
< Ici, comme en beaucoup de cas semblables, le problème ne semble insoluble que si l'on prend à la lettre, matériellement, les affirmations de l'Ecriture, en oubliant leur signification religieuse. Il ne s'agit pas de dissoudre la réalité des faits dans un symbolisme inconsistant, mais de rechercher l'intention théologique de ceux qui nous révèlent des mystères en nous livrant, des faits sensibles, des signes appropriés à l'enracinement charnel de notre esprit. >
Les derniers entretiens de Jésus. Le Paraclet de l'Evangile de Jean
Jean est le seul évangéliste à rapporter, à la fin du dernier repas de Jésus et avant l'arrestation de ce dernier, l'épisode des ultimes entretiens avec les apôtres, qui se termine par un très long discours : quatre chapitres de l'Evangile de Jean (14 à 17) sont consacrés à cette narration, dont on ne trouve aucune relation dans les autres évangiles. Et, pourtant, ces chapitres de Jean traitent de questions primordiales, de perspectives d'avenir d'une importance fondamentale, exposées avec toute la grandeur et la solennité qui caractérisent cette scène des adieux du Maître à ses disciples.
Comment peut-on expliquer que fasse entièrement défaut chez Matthieu, Marc et Luc le récit d'adieux si touchants qui contiennent le testament spirituel de Jésus ? On peut se poser 1& question suivante : le texte existait-il initialement chez les trois premiers évangélistes ? N'a-t-il pas été supprimé par la suite ? Et pourquoi ? Disons tout de suite qu'aucune réponse ne peut être apportée ; le mystère reste entier sur cette énorme lacune dans le récit des trois premiers évangélistes.
Ce qui domine le récit est — cela se conçoit dans un entretien suprême — la perspective de l'avenir des hommes évoquée par Jésus et le souci du Maître d'adresser à ses disciples et, par eux, à l'humanité entière, ses recommandations et ses commandements et de définir quel sera en définitive le guide que les hommes devront suivre après sa disparition. Le texte de l'Evangile de Jean et lui seul le désigne explicitement sous le nom grec de Parakietos, devenu Paraclet en français. En voici, selon la Traduction oecuménique de la Bible, Nouveau
Testament, les passages essentiels :
« Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; moi je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet (14, 15-16). »
Que signifie Paraclet? Le texte que nous possédons actuellement de l'Evangile de Jean explique son sens en ces termes :
< Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous communiquera toutes choses, et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit » (14, 26).
« II rendra lui-même témoignage de moi » (15, 26).
« C'est votre avantage que je m'en aille ; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; si au contraire je pars, je vous l'enverrai. Et lui, par sa venue, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement... » (16, 7-8).
« Lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière, car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. D me glorifiera... » (16,
13-14).
Contradictions et invraisemblances des récits
(A noter que les passages non cités ici des chapitres 14 à 17 de l'Evangile de Jean ne modifient aucunement le sens général de ces ci-tations.)
Si l'on en fait une lecture rapide, le texte français qui établit l'identité du mot grec Paraclet avec l'Esprit Saint n'arrête pas le plus souvent l'attention. D'autant plus que les sous-titres du texte généralement employés dans les traductions et les termes des commentaires présentés dans les ouvrages de vulgarisation orientent le lecteur vers le sens que la bonne orthodoxie veut donner à ces passages. Aurait-on la moindre difficulté de compréhension que des précisions comme celles données par le Petit Dictionnaire du Nouveau Testament d'A. Tricot, par exemple, seraient là pour offrir tous les éclaircissements. Sous la plume de ce commentateur, à l'article Paraclet, on peut y lire, en effet, ce qui suit :
< Ce nom ou ce titre, transcrit du grec en français, n'est employé dans le Nouveau Testament que par S. Jean : quatre fois quand il rapporte le discours de Jésus après la " Cène ' " (14, 16 et 26 ; 15, 26 ;
16, 7) et une fois dans sa première épître (2, 1). Dans l'Evangile Johannique, le mot s'applique à l'Esprit Saint ; dans l'épître, au Christ. " Paraclet " était un terme couramment employé par les Juifs hellénistes du l" siècle au sens d'intercesseur, de défenseur. [...] L'Esprit, annonce Jésus, sera envoyé par le Père et le Fils et il aura pour mission propre de suppléer le Fils dans le rôle secourable exercé par celui-ci durant sa vie mortelle au profit de ses disciples. L'Esprit interviendra et agira comme substitut du Christ en tant que paraclet ou intercesseur tout-
puissant. »
Ce commentaire fait donc de l'Esprit Saint le guide ultime des hommes après la disparition de Jésus. S'accorde-til avec le texte de Jean?
La question doit être posée car, a priori, il semble curieux que l'on puisse attribuer à l'Esprit Saint le dernier paragraphe cité plus haut : < D ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. » II paraît inconcevable qu'on puisse prêter à l'Esprit Saint les pouvoirs de parler et de dire ce qu'il entend... A ma connaissance, cette question, que la logique commande de soulever, n'est généralement pas l'objet de commentaires.
1. En réalité, c'est bien au cours même de la < Ciné » que, pour Jean, Jésus a prononcé le long discours où il est sujet du Paraclet, discours non rapporté par les autres évangélistes.
Pour avoir une idée exacte du problème, il est nécessaire de se reporter au texte grec de base, ce qui est d'autant plus important que l'on reconnaît à l'évangéliste Jean d'avoir écrit en grec et non en une autre langue. Le texte grec consulté fut celui de Novum Testamentum graece '.
Toute critique textuelle sérieuse commence par la recherche des variantes. Il apparaît ici que, dans l'ensemble des manuscrits connus de l'Evangile de Jean, il n'existe pas d'autre variante susceptible d'altérer le sens de la phrase que celle du passage 14, 26 de la fameuse version en langue syriaque appelée Palimpseste'. Ici, on ne mentionne pas l'Esprit Saint, mais l'Esprit tout court. Le scribe a-t-il fait un simple oubli, ou bien placé en face d'un texte à recopier qui prétendait faire entendre et parler l'Esprit Saint, n'a-t-il pas osé écrire ce qui lui paraissait être une absurdité ? A part cette remarque, il n'y a pas lieu d'insister sur d'autres variantes, si ce n'est les variantes grammaticales qui ne changent rien au sens général. L'essentiel est que ce qui est exposé ici sur la signification précise des verbes « entendre »-et <; parler » vaille pour tous les manuscrits de l'Evangile de Jean et c'est le cas.
Le verbe « entendre » de la traduction française est le verbe grec akouô, qui signifie percevoir des sons. Il a donné, par exemple, en français le mot acoustique, en anglais acoustics, qui est la science des sons.
Le verbe « parler » de la traduction française est le verbe grec laleô, qui a le sens général d'émettre des sons et le sens particulier de parler. Ce verbe revient très souvent dans le texte grec des Evangiles pour désigner une déclaration solennelle de Jésus au cours de sa prédication. Il apparaît donc que la communication aux hommes dont il est fait état ici ne consiste nullement en une inspiration qui serait à l'actif de l'Esprit Saint, mais elle a un caractère matériel évident en raison de la notion d'émission de son attachée au mot grec qui la dé finit.
Les deux verbes grecs akouô et laleô définissent donc des actions concrètes qui ne peuvent concerner qu'un être doué d'un organe de l'audition et d'un organe de la parole. Les appliquer par conséquent à l'Esprit Saint n'est pas possible.
Ainsi, tel qu'il nous est livré par les manuscrits grecs, le texte de ce passage de l'Evangile de Jean est parfaitement incompréhensible si on l'accepte dans son intégrité avec les mots Esprit Saint de la phrase (14, 26) : « Le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom... », etc., seule phrase qui, dans l'Evangile de Jean, établit l'identité entre Paraclet et Esprit Saint.
1. Nestlé et Aland, 1971.
2. Ecrit au IV ou V siècle et découvert au mont Sinaï, en 1812, par Agnès S.-Lewis, ce manuscrit est ainsi appelé parce que le texte initial avait été recouvert par un autre texte qui, effacé, fit apparaître le premier.
Contradictions et invraisemblances des récits
Mais si l'on supprime les mots Esprit Saint (to pneuma to agion) le cette phrase, tout le texte de Jean présente une signification extrêmement claire. Elle est d'ailleurs concrétisée par un autre texte de l'Evangéliste, celui de la première épître où Jean utilise le même mot Paraclet pour désigner tout simplement Jésus en tant qu'intercesseur auprès d'Allah '. Et quand Jésus dit, selon Jean (14, 16) : « Je prierai le Père : il vous enverra un autre Paraclet », il veut bien dire qu'il sera envoyé aux hommes un « autre » intercesseur, comme il l'a été lui-même, auprès d'Allah en leur faveur lors de sa vie terrestre.
On est alors conduit en toute logique à voir dans le Paraclet de Jean un être humain comme Jésus, doué de faculté d'audition et de parole, facultés que le texte grec de Jean implique de façon formelle. Jésus annonce donc que Allah enverra plus tard un être humain sur cette terre pour y avoir le rôle défini par Jean qui est, soit dit en un mot, celui d'un prophète entendant la voix d'Allah et répétant aux hommes son message. Telle est l'interprétation logique du texte de Jean si l'on donne aux mots leur sens réel.
La présence des mots Esprit Saint dans le texte que nous possédons aujourd'hui pourrait fort bien relever d'une addition ultérieure tout à fait volontaire, destinée à modifier le sens primitif d'un passage qui, en annonçant la venue d'un prophète après Jésus, était en contradiction avec l'enseignement des Eglises chrétiennes naissantes, voulant que Jésus fût le dernier des prophètes.
1. Bien des traductions et des commentaires, surtout anciens, des Evangiles traduisent le mot par consolateur, cela est une erreur complète.
VI. CONCLUSIONS
Les faits qui ont été rapportés ici et les commentaires cités de plusieurs exégètes chrétiens très éminents ont réfuté les affirmations de l'orthodoxie, s'appuyant sur la ligne adoptée par le dernier concile concernant l'historicité absolue des Evangiles qui auraient fidèlement transmis ce que Jésus a réellement fait et enseigné.
Les arguments qui ont été donnés sont de plusieurs ordres.
Tout d'abord, les citations mêmes des Evangiles établissant des contradictions flagrantes. On ne peut pas croire à l'existence de deux faits qui se contredisent. On ne peut pas accepter certaines invraisemblances ou des affirmations qui vont à rencontre des données parfaitement établies par les connaissances modernes. Les deux généalogies de Jésus que présentent les Evangiles et ce qu'elles impliquent de contrevérités sont, à ce sujet, tout à fait démonstratives.
Beaucoup de chrétiens ignorent ces contradictions, invraisemblances ou incompatibilités avec la science moderne et sont stupéfaits lors qu'ils les découvrent, influencés qu'ils sont par la lecture des commentaires offrant de subtiles explications propres à les rassurer, le lyrisme apologétique aidant. Des exemples très caractéristiques ont été fournis de l'habileté de certains exégètes à camoufler ce qu'ils appellent pudiquement des « difficultés ». Très rares sont, en effet, les passages des Evangiles qu'on a reconnus inauthentiques alors que l'Eglise les a officiellement déclarés canoniques.
Les travaux de la critique textuelle moderne ont mis en évidence des données qui, selon le R. P. Kannengiesser, constituent une « révolution des méthodes exégétiques » et amènent à < ne plus prendre au pied de la lettre » les faits rapportés au sujet de Jésus par les Evangiles, « écrits de circonstances » ou « de combat >. Les connaissances modernes, ayant mis en lumière l'histoire du judéo-christianisme et les rivalités entre communautés, expliquent l'existence de faits qui déconcertent les lecteurs de notre époque. La conception des évangélistes témoins oculaires n'est plus défendable, mais elle est encore de nos jours celle de nombreux chrétiens. Des travaux de l'Ecole biblique de
Jérusalem (R. P. Benoit et R. P. Boismard) démontrent fort bien que les Evangiles ont été écrits, revus et corrigés plusieurs fois.
Aussi le lecteur de l'Evangile est-il prévenu par eux qu'il « doit renoncer dans plus d'un cas à entendre la voix directe de Jésus ».
Le caractère historique des Evangiles n'est pas discutable, mais ces documents nous renseignent avant tout, au travers des récits concernant Jésus, sur la mentalité des auteurs, porte-parole de la tradition des communautés chrétiennes primitives auxquelles ils appartenaient, en particulier sur les luttes entre judéo-chrétiens et Paul : les travaux du cardinal Daniélou font autorité sur ces points.
Comment s'étonner alors du travestissement de certains événements de la vie de Jésus par des évangélistes qui avaient pour but de défendre un point de vue personnel, comment s'étonner de l'omission de certains événements, comment s'étonner du caractère romancé de la description de certains autres ?
On est amené à comparer les Evangiles à nos chansons de gestes de la littérature médiévale. Suggestive est la comparaison que l'on peut faire avec la Chanson de Roland, la plus connue de toutes, qui relate sous un aspect romancé un événement réel. Sait-on qu'elle raconte un épisode authentique : une embuscade dont eut à souffrir l'arrière-garde de Charlemagne, commandée par Roland, au col de Roncevaux ? Cet épisode d'importance secondaire aurait eu lieu, selon la chronique historique (Eginhard), le 15 août 778 ; il fut amplifié aux dimensions d'un grandissime fait d'armes, d'un combat de guerre sainte. Le récit est fantaisiste, mais cette fantaisie ne peut éclipser la réalité d'une des luttes que Charlemagne dut entreprendre pour garantir ses frontières contre les tentatives de pénétration des peuples voisins : là réside l'authentique, le mode épique du récit ne l'efface pas.
Pour les Evangiles, il en est de même : les fantasmagories de Matthieu, les contradictions flagrantes entre les Evangiles, les invraisemblances, les incompatibilités avec des données de la science moderne, les altérations successives des textes, font que les Evangiles contiennent des chapitres et des passages relevant de la seule imagination humaine. Mais ces défauts ne font pas mettre en doute l'existence de la mission de Jésus : les doutes planent seulement sur son déroulement.
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